Il s'appelle Cyrus et rentre de la
Légion Etrangère après 14 ans ½ de service. Il parle beaucoup,
lentement, avec un accent corse très marqué. Il aura une solde, une
retraite, inférieure au montant prévu car il n'est pas allé au
terme du contrat, 15 ans. Il me parle de son corps marqué, d'une vie
difficile, de la caravane où il va habiter, de sa fille, d'un bébé
et d'un chien très loyal qu'il avait. Il fabrique des objets en cuir
à partir de vestes qu'il achète dans des friperies.
Il me rappelle des hommes croisés au
Foyer Notre Dame des Sans Abris, lorsque je travaillais sur
l'hébergement d'urgence, en tant que travailleur social. Combien
j'ai croisé d'anciens militaires et légionnaires qui se
retrouvaient à vivre dans des conditions très précaires. Tous
s'étaient sentis délaissés quand, à cause d'une blessure, à
cause d'une connerie, ils en avaient fini avec leur service rendu à
l'Etat. Des hommes qui parlaient sans-cesse, d'autres qui semblaient
évoluer dans une autre dimension, qui s'accrochaient à ce qu'ils
avaient été.
Nous n'avons pas eu le temps, on y pas
pensé, nous ne nous sommes pas présentés. J'avais pris en photo
déjà son reflet dans la vitre du train, je l'entendais parler en
portugais. Et elle me faisait vraiment penser aux femmes brésiliennes
que l'on peut voir dans le Nord du Brésil ou en Guyane, avec leurs
origines que l'on suppose amérindiennes. On a commencé à parler et
à ma question elle a répondu qu'elle est de Belem et qu'elle vit en
France depuis 10 ans. Et nous parlons de l'île de Marajo avec
plaisir, cette connaissance commune, de ce lieu si atypique et si
simple rend l'instant très agréable et me rattache à là où je
vis, en Amazonie française, à une forme d'indolence simple et
populaire. Ca me réconcilie avec l'universel et la légèreté, la
simplicité des rapports humains. Et elle ça la rapproche de là
d'où elle vient, où elle retourne parfois mais pas depuis la
naissance de sa petite-fille. A 41 ans, elle est devenue grand-mère
et ça, ça lui a foutu un coup de vieux, a-t'elle dit.
Je me replonge ensuite dans « Mémoires
sauvés du vent » de Richard Brautigan. Le train s'arrête en
gare de Vienne. Le noir et blanc me semble adapté …
Arrivé à Lyon, je monte dans un autre
train et fais quelques photos en attendant son départ. Il me semble
que je photographie la France. La "France qui monte".