09/10/2015



















 




               En prenant ces pélicans en photo ce matin, en bord de mer, à Lima, je me remémorais un passage de «Les veines ouvertes de l ’Amérique Latine » d ’Eduardo Galeano, le voici :



             " La population européenne grandissait à un rythme vertigineux et il était impossible dinsuffler une nouvelle vie aux sols fatigués pour augmenter dans la même proportion la production alimentaire. Les laboratoires britanniques révélèrent les propriétés fertilisantes du guano péruvien et à partir de 1840, son exportation massive commença. Pélicans et mouettes, nourris par les fabuleux bancs de poisson des courants qui lèchent les rivages, avaient accumulés sur les iles et les ilots, depuis des temps immémoriaux, de grandes montagnes d excréments riches en azote, en ammoniaque, en phosphates et en sels alcalins. Le guano se conservait sans altération sur les cotes du Pérou où il ne pleut jamais. Peu après le lancement international du guano, la chimie agricole découvrit que les propriétés nutritives du salpètre étaient supérieures et, en 1850, son emploi comme engrais était très répandu dans les campagnes européennes. Le spectre de la faim séloigna de lEurope.

              L ’oligarchie de Lima, fière et présomptueuse comme nulle autre, continuait de senrichir à pleines mains et daccumuler les symboles de son pouvoir dans les palais et les mausolées de marbre de Carrare que la capitale érigeait au milieu des déserts de sable. Le pays se sentit riche, lEtat utilisa son crédit sans mesure. Il vécut dans le gaspillage, hypothéquant son avenir au profit de la finance anglaise. Les réserves de Guano servaient de garantie aux emprunts britanniques et lEurope jouait avec les prix, la cupidité des exportateurs faisait des ravages, ce que la nature avait accumulé dans les iles au long de millénaires fut bradé en quelques années.


              Le guano resta l'engrais idéal de l’agriculture du Pérou jusqu’à ce que, en 1960, le succès de la farine de poisson eut anéanti mouettes et pélicans. Les pêcheries, nord-américaine pour la plupart, épuisèrent rapidement les bancs danchois du littoral pour alimenter avec la farine quelles en tiraient les porcs et les volailles dEurope et des Etats-Unis. Les oiseaux guaniers furent contraints pour survivre de suivre les pêcheurs de plus en plus loin, en haute mer. Epuisés, ils tombaient á leau au retour et se noyaient. Dautres ne quittaient plus la terre et, en 1962/63, on put voir des vols de pélicans chercher leur nourriture dans lavenue principale de Lima. Lorsquils ne pouvaient plus repartir, les oiseaux mourraient dans les rues.



                                            Extrait de «Les veines ouvertes de l’Amérique Latine » Eduardo Galeano.